Dans la version définitive des Mémoires d'outre-tombe, écrite sous la Monarchie de Juillet, ce qui avait été conçu vingt ans plus tôt sur le mode de la confidence intime, se métamorphose pour devenir ce que Chateaubriand appelle une «épopée de mon temps». Autour de la personne du narrateur viennent cristalliser de multiples voix, tandis que son destin finit par se confondre avec celui de toute une génération qu'une Histoire aveugle et meurtrière a baptisée dans le «fleuve de sang» de la Révolution. De cette génération du passage, engagée dans une périlleuse traversée entre un passé en ruines et un avenir incertain, Chateaubriand a réussi à se faire le porte-parole inspiré.
A travers un classique récit de formation, nous commençons par suivre les tribulations du chevalier de Combourg, voyageur et soldat, puis misérable exilé (livres I à XII). C'est dans la perte de tous ses repères identitaires que le noble sauvage découvre alors sa véritable vocation : la littérature (livres XIII à XVIII). Mais que signifie la gloire des Lettres, lorsqu'on est le contemporain de Napoléon ? C'est pour répondre à cette question que le mémorialiste accompagne le héros «fastique» jusqu'à la tombe de Sainte-Hélène (livres XIX à XXIV) : ce ne sont pas les pages les moins admirables de ce volume qui se termine par une méditation nocturne sur la vanité universelle.
Jean-Claude Berchet.
Le premier volume de cette édition critique comporte les Mémoires de ma vie, les livres I à XXIV (1re et 2e partie) des Mémoires d'outre-tombe, ainsi que, en Appendices, les projets de préfaces, le compte rendu de Sainte-Beuve, le dossier du premier voyage en Italie et les fragments retranchés.